"Montrer au linguiste ce qu'il fait" : l'actualité de Saussure dans la pratique et la théorisation linguistiques

Atelier proposé par Estanislao SOFIA & Pierre SWIGGERS

 

Titre :               « Montrer au linguiste ce qu’il fait » : l’actualité de Saussure dans la pratique et la théorisation linguistiques.

 

But :                 Cet atelier, organisé dans le cadre des activités commémorant le centième anniversaire de la publication du CLG, vise à faire le point sur l’utilisation – adoption, adaptation, « exaptation » – des concepts saussuriens en tant qu’instruments opératoires dans la description et la réflexion linguistiques.

 

Déroulement : L’atelier sera organisé sous forme d’une journée de discussions interdisciplinaires nourries par des exposés présentés par des spécialistes dans différentes sous-disciplines de la linguistique. Il s’agira d’interroger les façons dont les concepts saussuriens ont été instrumentalisés et appliqués dans la pratique et la réflexion linguistiques actuelles, avec une attention particulière à leur insertion dans l’approche des différentes plans de description – phonologie, morphologie, syntaxe et lexico-sémantique – tant en synchronie qu’en diachronie.

 

Les discussions seront centrées autour des questions suivantes :

 

1)         Quels concepts saussuriens ont donné lieu – et au prix de quelles éventuelles transformations – à des développements méthodologiques spécifiques dans les modèles linguistiques du XXe siècle ?

 

2)         Par rapport à quels plans de la pratique et de la réflexion linguistiques l’apport de Saussure a-t-il été important voire déterminant ?

 

3)         En quoi l’appareil conceptuel et méthodologique saussurien serait-il (encore) essentiel à la pratique linguistique contemporaine ?

 

4)         Au-delà de l’importance historique de sa théorie, en quoi Saussure demeurerait-il encore actuel ? La linguistique du XXIe siècle sera-t-elle encore, et à quel degré, saussurienne ?

 

Organisation : L’atelier se déroulera sous la forme d’une journée d’étude, avec quatre communications le matin et quatre l’après-midi. Idéalement, les quatre domaines susmentionnés (phonologie, morphologie, syntaxe et lexico-sémantique) seront représentés, et préférablement tant le versant diachronique que le versant synchronique.

 

Publication :     L’atelier donnera lieu à la publication d’un volume collectif qui paraîtra chez une maison d’édition internationale.

 

 

Colloque International

Le cours de linguistique générale 1916-2016 : L’émergence

Genève, 9-14 janvier 2017

 

Atelier

"Montrer au linguiste ce qu'il fait":

l'actualité de Saussure dans la pratique et la théorisation linguistiques

10 janvier 2017

 

Sous la direction de

Estanislao SOFIA et Pierre SWIGGERS

 

Programme

 

10h45

Présentation de l’atelier

 

11h00-11h40

Genèse et fonction du zéro, de Saussure à la phonologie contemporaine

Gabriel BERGOUNIOUX (LLL / Université d’Orléans)

 

11h40-12h20

La phonotactique saussurienne, de l’interaction entre les segments à la dynamique syllabique

Bernard LAKS (Université de Paris Ouest, Nanterre-La Défense)

 

12h20-14h00 Pause déjeuner

 

14h00-14h40

Le CLG est-il resté pertinent pour les grammairiens du XXème siècle ?

Michel ARRIVÉ (Université de Paris Ouest, Nanterre-La Défense)

 

14h40-15h20

La syntaxe, une aporie de l’enseignement saussurien ?

Claude HAGÈGE (Collège de France)

 

15h20-15h40 Pause café

 

15h40-16h20

L’héritage saussurien dans les études contemporaines de la diachronie

Marie-José BÉGUELIN (Université de Neuchâtel)

 

16h20-17h00

Post-Chomskyan Linguistics from a Saussurean Perspective
Dirk GEERAERTS (KU Leuven)

 

17h00-17h40

Y a-t-il un cognitiviste chez Saussure? Réflexions sur une pragmatique de la valeur

Louis de SAUSSURE (Université de Neuchâtel)

 

17h40-17h50

Clôture

 

 

 

 

Colloque International

Le cours de linguistique gÉnÉrale 1916-2016 : L’Émergence

 

 

Genève, 9-14 janvier 2017

 

 

 

 

Atelier

"Montrer au linguiste ce qu’il fait":

L’actualité de Saussure

dans la pratique et la théorisation linguistiques

10 janvier 2017

 

 

Sous la direction de

Estanislao SOFIA et Pierre SWIGGERS

 

 

Résumés

 

 

Le CLG est-il resté pertinent pour les grammairiens du XXème siècle ?

 

Michel ARRIVÉ (Université de Paris Ouest, Nanterre-La Défense)

 

 

 

La question est intéressante en elle-même. Elle l’est aussi, sans doute, à titre de témoignage du mode d’influence du CLG sur la linguistique et les autres sciences humaines.

Une première remarque : il ne sera question ici que du CLG sous sa forme standard, celle de l’édition originale de 1916 et de ses diverses rééditions. Sans être passés inaperçus, les travaux de Godel puis d’Engler et, à plus forte raison, ceux qui les ont suivis n’ont pas exercé d’influence directe sur la production des grammairiens spécialistes du français au cours du siècle écoulé.

Seconde remarque : à une exception près, la prise en compte du CLG par les grammairiens n’a pas été très rapide. Mais elle a été durable, au moins jusqu’à la fin du siècle.

On se penchera surtout sur les travaux des grammairiens suivants :

1.    Ferdinand Brunot, dont le silence total et définitif est, à sa façon, éloquent : indice d’une opposition totale entre les deux appareils théoriques, clairement aperçue par Meillet et Bally dans leurs comptes rendus de La Pensée et la Langue.

2.    Gustave Guillaume est le lecteur le plus précoce du CLG, mais sans doute l’un des plus critiques sur de nombreux points capitaux, en dépit d’une révérence non feinte, qui s’explique par un accord qui reste fondamental sur la notion de système.

3.    Georges Gougenheim, dont la référence au CLG passe notamment par Troubetzkoï.

4.    Lucien Tesnière, dont la réflexion, extrêmement aiguë, se porte surtout sur le principe de la linéarité du signifiant.

5.    Knud Togeby, continuateur, au début de sa carrière, de la glossématique hjelmslévienne.

6.    Le monstre dicéphale de Jacques Damourette et Édouard Pichon, lecteurs précoces du CLG, critiques passionnés de l’arbitraire du signe. En dépit de cette discordance, sans doute fondée sur un malentendu, certains concepts chez DP, par exemple celui de répartitoire, s’inscrivent clairement dans le saussurisme.

7.    Jean Dubois, témoin et auteur du passage du saussurisme au chomskysme qui s’observe dans la grammaire française dès les années 1960.

 Une influence, certes, assez tardive – à deux exceptions près elle est postérieure à 1930 – mais profonde et durable.

 

 

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L’héritage saussurien dans les études actuelles sur la diachronie

 

Marie-José BÉGUELIN (Université de Neuchâtel)

 

 

 

La linguistique historique entretient, à l’égard de Ferdinand de Saussure, une dette à double face, empirique d’une part et théorique-méthodologique de l’autre. D’abord, c’est à Saussure que l’on doit d’avoir éclairé dès ses premiers travaux, avec une hauteur de vue et une intuition saisissantes, le fonctionnement du système morpho-phonologique des langues indo-européennes anciennes (cf. Saussure, 1879 [1878] et 1922). C’est à lui que l’on doit d’avoir ensuite posé, dans ses notes manuscrites et dans son enseignement, les bases d’une étude véritablement scientifique de l’évolution linguistique, fondée sur la distinction des points de vue synchronique et diachronique et sur une priorité inconditionnelle accordée à la fonction sémiologique (CLG/E ; Saussure 2002 et 2011).

Après avoir rappelé les principes que Saussure a préconisés – et s’est imposés à lui-même – dans l’étude du changement linguistique, le propos de cette intervention sera de s’interroger sur la réception des principes saussuriens dans les études actuelles sur la diachronie. De quelle manière la distinction synchronie-diachronie instituée par Saussure a-t-elle été comprise et opérationnalisée dans les travaux de ses dépositaires ? Quel a été l’écho à long terme de sa réflexion critique sur le type d’historicité auquel la langue est soumise, sur le statut de l’observateur-linguiste par rapport à celui du sujet parlant, sur la primauté de l’analyse subjective par rapport à l’analyse objective ? Et dans quelle mesure le diachronicien d’aujourd’hui (qu’il se réclame ou non du paradigme à succès de la grammaticalisation) continue-t-il à se poser la question de « ce qu’il fait » ?

 

Références

Saussure, F. de . (1879 [1878]). Mémoire sur le système primitif des voyelles dans les langues indo-européennes. Leipzig : B. G. Teubner.

Saussure, F. de . (1922, réimpr. 1984). Recueil des publications scientifiques, réunies par Ch. Bally & L. Gautier. Genève : Slatkine.

Saussure, F. de . (1916 [1968-1974] = CLG/E), Cours de linguistique générale, édition critique et synoptique par R. Engler, T. I (1968), T. II, Appendice (1974), Wiesbaden : Harrassowitz.

Saussure, F. de . (2002), Écrits de linguistique générale, édités par S. Bouquet & R. Engler. Paris : Gallimard.

Saussure, F. de . (2011). Science du langage. De la double essence du langage et autres documents du ms. BGE Arch. de Saussure 372, édition critique partielle mais raisonnée et augmentée des Écrits de linguistique générale établie par R. Amacker. Genève : Droz.

 

 

 

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Genèse et fonction du zéro, de Saussure à la phonologie contemporaine

 

Gabriel BERGOUNIOUX (LLL / Université d’Orléans)

 

 

 

Le concept de zéro est advenu dans la linguistique structurale en rupture avec ses usages en grammaire comparée. Le comparatisme avait déjà relevé l’« absence de marque » dans les paradigmes flexionnels ou noté l’effacement diachronique d’un segment (amuïssement) : il s’agissait, dans l’un et l’autre cas, de pointer l’inexistence ou la disparition d’un élément. À l’inverse, le structuralisme, rompant avec une approche substantialiste, a fait advenir le zéro comme le produit d’une relation, une case vide dans un système d’oppositions.

Bien que, chez Saussure, le statut du zéro soit établi avant tout à partir de considérations morphologiques et diachroniques (cf. Mémoire), son usage dans les phonologies actuelles permet d’opérer un retour épistémologique sur les théories linguistiques contemporaines, sur ce qui les caractérise et les différencie. Tour à tour conçu comme une entité ou un artefact, comme une notation ou un opérateur, comme un élément neutre ou le résultat d’une transformation, le zéro dessine en filigrane, dans les méthodologies, les conditions de validation d’un programme d’algébrisation que Saussure fixait comme horizon à la discipline.

En partant d’une relecture du corpus saussurien, on étudiera la façon dont le zéro, par les fonctions qui lui sont assignées, constitue un révélateur des conceptions phonologiques contemporaines.

 

Référence

Bergounioux, G. & Scheer, T. (2015) « Phonologies contemporaines », Langages 198.

 

 

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Post-Chomskyan Linguistics from a Saussurean Perspective


Dirk GEERAERTS (KU Leuven)

 

 

 

Contemporary developments in linguistics are generally characterized by a recontextualizing movement (Geeraerts 2010). The restrictive stance of formal grammar dissociated what was considered to be the core of linguistics from other major domains of language: from semantics (as form prevailed over function), from pragmatics (as system prevailed over usage), from sociolinguistics (as the mental reality of language prevailed over its social reality). The recontextualizing trends reverse these dissocations: cognitive and functional theories give meaning a central place in grammatical theory, usage-based approaches (specifically in the methodological guise of corpus linguistics) try to integrate pragmatic and systemic descriptions, and most recently, the 'social turn' in approaches like cognitive sociolinguistics or probabilistic grammar aims at a closer alliance between grammar studies and the study of language variation.

The recognition that with these recontextualizing tendencies we have now firmly reached a post-Chomskyan stage in the development of linguistics triggers an attempt to identify the dimensions and forces that have shaped linguistics through the three stages of its development, i.e. the structuralist stage, the Chomskyan stage, and the cognitive-functionalist stage. In this respect, it can be argued that the Saussurean origins of the three-stage development provide an excellent framework for understanding the dynamics of the theoretical evolution. In particular, this paper will suggest that the social turn in contemporary linguistics is a return to a Saussurean conception of language as a social semiotic without the Saussurean assumption of the internal homogeneity of language systems.

 

Référence

 

Geeraerts, Dirk. 2010. Recontextualizing grammar: Underlying trends in thirty years of Cognitive Linguistics. In: Elzbieta Tabakowska, Michal Choinski and Lukasz Wiraszka (eds.), Cognitive Linguistics in Action: From Theory to Application and Back, 71-102. Berlin/New York: De Gruyter Mouton.

 

 

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La syntaxe, une aporie de l’enseignement saussurien ?

 

Claude HAGÈGE (Collège de France)

 

 

 

Depuis la publication des Syntactic Structures de N. Chomsky (1957), la syntaxe est devenue une composante nucléaire des recherches linguistiques, à raison même du fait qu’elle est considérée comme une composante nucléaire des langues. Or on constate que l’ouvrage fondateur de la linguistique, qui l’est même aux États-Unis et non pas seulement en Europe, à savoir le CLG de F. de Saussure (1916), ne fait à peu près aucune place à la syntaxe, simplement mentionnée d’une manière tout à fait occasionnelle, notamment au cours d’énumérations. C’est aussi le cas du livre beaucoup plus récent qui a enrichi les études saussuriennes : les Écrits de Linguistique Générale (ÉLG), qu’ont établis et édités Bouquet et Engler en 2002. On peut, évidemment, rappeler que pour Saussure, la phrase, qui est le cadre naturel de déploiement de la syntaxe, appartient à la langue et non à la parole, et que le maître de Genève n’a pas eu le temps de traiter en profondeur cette dernière, comme il l’avait annoncé à ses auditeurs. Il reste que la quasi-absence de la syntaxe dans l’enseignement saussurien pourrait poser problème, à la lumière du foisonnement des études syntaxiques contemporaines. Pourtant, la présente communication entend montrer que la syntaxe n’est pas la composante nucléaire que l’on croit, et que les problèmes syntaxiques peuvent être traités dans le cadre des théories saussuriennes.

 

 

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La phonotactique saussurienne, de l’interaction entre les segments

à la dynamique syllabique

 

Bernard LAKS (Université de Paris Ouest, Nanterre-La Défense)

 

 

Dans l’œuvre de Saussure, la partie proprement phonologique occupe un statut à part. Centrale dans la réflexion du Maître de Genève, connue par des textes autographes incontestables (le Mémoire et les deux volumes publiés par Maria Pia Marchese, Théorie des sonantes et Phonétique, un ensemble d’articles très accessibles : revue critique de Schmidt etc.), elle reste assez peu connue et discutée. Elle est pourtant fondamentale pour comprendre l’élaboration et le déploiement de la pensée saussurienne. Même chez les phonologues, l’œuvre proprement phonologique de Saussure a été peu discutée et commentée, à de notables exceptions près (Jakobson et Troubetzkoy), la vulgate l’emportant très largement sur l’analyse (comme par exemple dans le courant fonctionnaliste ou l’école chomskyenne). La phonologie saussurienne est certes technique, mais reste d’une rare puissance et d’une incroyable modernité. Me fondant sur les textes de Saussure et ignorant à dessein le chapitre sur la syllabe du CLG dont on sait qu’il provient d’une lecture biaisée des éditeurs, je montrerai comment la conception saussurienne de la syllabe, de la dynamique phonotactique, de l’interaction entre eux des éléments sonores et de la conception de ces éléments eux-mêmes restent d’une incroyable actualité en phonologie moderne, qu’elle soit autosegmentale, syllabique, optimaliste, connexionniste ou autre.

 

 

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Y a-t-il un cognitiviste chez Saussure? Réflexions sur une pragmatique de la valeur

 

Louis de SAUSSURE (Université de Neuchâtel)

 

 

On connaît diverses lignes de développement du (pré-)structuralisme saussurien vers ce qu’on a aujourd’hui coutume d’appeler la pragmatique; autrement dit, des dynamiques qui ont transposé la notion de « système » à partir de la langue vers son usage. La théorie de l’énonciation benvenistienne, la « stylistique » de Charles Bally, notamment. L’idée qu’on pouvait faire de la pragmatique interne, en quelque sorte, ou « intégrée », comme on le dit parfois de l’approche d’Anscombre et Ducrot dans L’Argumentation dans la langue, en plus de la linguistique interne, se matérialise comme tout développement « saussurien » dans deux grandes dimensions : les aspects conventionnels d’une part, intéressant l’inscription de l’usage de la langue dans la vie sociale, et universels d’autre part, l’inscrivant dans des considérations naturalistes. La première dimension a reçu une grande visibilité puisque le structuralisme s’est imposé dans l’ensemble des sciences humaines et sociales avec le succès que l’on sait dans la promotion d’une position de plus en plus relativiste et jusqu’à la posture socioconstructiviste qui domine encore certains domaines du champ des sciences humaines et sociales. Cela tient aussi à la critique décidée que Saussure oppose à la tradition naturaliste de Port-Royal et qui a conduit à une lecture anti-naturaliste de l’œuvre saussurienne. Corollairement, l’idée que l’interaction elle-même est structurée, que ce soit dans le modèle psychosocial goffmanien ou dans l’approche « énonciative », a aussi semblé transférer vers le monde de l’usage du langage des outils analytiques hérités du Cours en établissant par là une nouvelle tradition intellectuelle en linguistique. Sans aller si loin dans la prise de hauteur, relevons que Gustave Guillaume distingue entre signifiés de puissance et signifiés d’effet. Curieusement sans référence à lui, la pragmatique contemporaine du lexique cherche sa voie précisément dans l’articulation des deux, car c’est à leur frontière que se situe l’ « interface sémantique-pragmatique », qui croise l’axe qui sépare les aspects conventionnels et les aspects naturalistes du langage, que Saussure évoquait par la notion de « faculté » et même d’instinct dans son 3e cours. Notre communication se propose de réfléchir à la possibilité de transférer la notion centrale de valeur, clé s’il en est de la conception synchronique, statique, de la langue, vers un dérivé dynamique et pragmatique.