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Marina DE PALO

Saussure et Bühler: phénoménologie et structuralisme

Je me propose de retracer les différentes manières dont se développe le thème de la subjectivité chez F. de Saussure et K. Bühler, en me concentrant sur la phénoménologie husserlienne et sur les rapports entre structuralisme et phénoménologie.D'un côté on peut observer que le tournant linguistique saussurien n'introduit pas une coupure entre la langue et le sujet: la faculté du langage envisagée par Saussure est une faculté innée, naturelle et biologique, qui n'est guère séparable du corps vivant et du cerveau de chaque locuteur. De l'autre côté, on observe que Bühler, qu'on réduit trop souvent au rôle de simple anticipateur de la théorie des fonctions de Jakobson, développa une réflexion complexe sur la subjectivité linguistique et doit donc être considéré comme un auteur fondamental pour redessiner la carte de la pensée linguistique du XXe siècle ; et ceci, qu'il s'agisse de le considérer comme un représentant du saussurisme non structuraliste, ou qu'il s'agisse d'en faire le meilleur représentant des rapports entre phénoménologie et structuralisme.

Stawarska (2015) reconnaît dans la réflexion linguistique de Saussure la centralité du thème du sujet parlant, mais, tout en essayant d'en tracer les composants phénoménologiques, elle en élude totalement les implications chez Bühler et Benveniste. Pourtant, on essayera de montrer que dans la Théorie du langage (1934) Bühler se confronte d'une façon explicite et approfondie avec Saussure, surtout dans la partie dédiée à l'axiomatique, et avec Husserl et la phénoménologie. Dans cette double confrontation entre Saussure et Husserl, Bühler explicite bien la centralité de la notion d'action humaine et sa conception du sujet parlant, qui n'est pas seulement un homme parlant, mais est aussi un homme vivant, concret, envisagé dans l'ensemble des « activités téliques » qui dessinent « l'homme tout entier ». Par contre dans la deuxième partie de l'œuvre, la plus riche et intéressante surtout quand il y expose la notion de « champ empratique » et d'ellipse, Bühler ne cite plus Saussure, même lorsque ses observations sont très proches de celle du Genevois. Au contraire, Merleau-Ponty (1960 :70), un phénoménologue qui critiqua les Recherches Logiques de Husserl, refusa les notions de sous-entendu et d'ellipse justement en suivant Saussure.



Bühler K. (1934 [2009]), Sprachtheorie. Die Darstellungsfunktion der Sprache, Jena, Fischer (trad. fr. Théorie du langage. La fonction représentationelle, Édité par D. Samain & J. Friedrich, préface de J. Bouveresse, Marseille, Agone, 2009).

Husserl E. (1901-2). Logische Untersuschungen (trad. franç.: Recherches Logiques. t. II., 1° et 2° partie, trad. par Hubert Elie, Arion L. Kelkel, René Schérer. Paris: PUF,1961).

Merleau-Ponty M. (1960). Signes. Paris: Gallimard.

Saussure F. de (1967-74). Cours de linguistique générale. Ed. Critique de R. Engler. 4 voll. Wiesbaden: Harrassowitz.

Saussure F. de (2002). Écrits de linguistique générale. Gallimard, éd. par S. Bouquet et R. Engler [= ELG].

Stawarska B. (2015), Saussure's philosophy of language as phenomemenology, Oxford University Press, Oxford.