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Laurent PERRIN

Petit plaidoyer en faveur d’une linguistique de la parole inspirée de Saussure (Une analyse linguistique et neurophysiologique de la phrase comme forme énonciative)

Selon Saussure et ses héritiers structuralistes, les relations dont relèvent les éléments de tout système de signes doivent être saisies séparément d’abord sous un angle diachronique ou synchronique et ensuite, dans le second cas, sous un angle respectivement syntagmatique et paradigmatique. Certaines difficultés associées à la détermination linguistique de ces deux oppositions permettent de comprendre ce qui a conduit Saussure à envisager, par-delà sa linguistique du système de la langue, le projet sans cesse différé d’une linguistique de l’usage de la langue par l’exercice de la parole. Saussure n’est en effet parvenu à fonder sa linguistique de la langue qu’au prix d’abstractions aboutissant à essentialiser ce qui est synchronique et paradigmatique à l’intérieur du système ; les relations tant diachroniques que syntagmatiques n’ont quant à elles jamais trouvé leur place définitive entre langue et parole. Les premières en raison des changements progressifs que l’usage inflige au système, qui conduisent soit à y insérer des formes inégalement abouties au plan diachronique, toujours empreintes de ce qui a trait à la parole, soit inversement à reléguer à cette dernière des formes déjà plus ou moins intégrées au système. Et les secondes en raison du changement de nature des unités de découpage syntagmatique aux différents niveaux d’analyse, d’autant moins aisées à dissocier de la parole qu’elles sont attachées à des niveaux de rang supérieur.

La question que l’on se pose dès lors est la suivante. Si elle n’avait été ajournée, comment la linguistique saussurienne de la parole aurait-elle été articulée à celle de la langue en vue de surmonter ces difficultés – qui expliquent aussi que la linguistique chomskyenne ait pu faire si aisément table rase du structuralisme au profit d’une hypothèse cognitiviste instaurant la phrase en contrepartie formelle de la compétence linguistique ? La phrase est depuis lors érigée à la fois en projection maximale fondatrice de la grammaire générative des catégories qu’elle gouverne, et en plafond de verre infranchissable de la linguistique. C’est ainsi que la pragmatique inférentielle fait face aujourd’hui à la lourde tâche de rendre compte du discours à partir des seules règles de la raison apparentées aux principes de la communication. Et c’est ainsi que la linguistique s’est coupé les ponts du discours et de l’interprétation, faisant du même coup le lit de divers courants d’analyses textuelles, discursives, conversationnelles ou autres, condamnés à tracer seuls leurs chemins linguistiques aux marges d’une tradition somme toute récente vouée aux gémonies. La linguistique saussurienne de la parole aurait-elle permis d’éviter un tel éclatement des sciences du langage en assurant une meilleure articulation entre langue et discours, linguistique et pragmatique ?

L’objectif de cette intervention sera d’esquisser ce qui pourrait constituer le champ d’une linguistique de la parole articulée à celle de la langue d’une part, et à la pragmatique inférentielle d’autre part, permettant de concilier diverses hypothèses compatibles avec les approches antagonistes dont il est question dans le thème de cette table ronde. La question de la valeur que nous appellerons modalisante de ce qui exprimé, qui résiste encore et toujours à la visée conceptuelle généralement attachée au sens des expressions, sera à l’horizon de nos questionnements.


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