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Eva KRASOVA

« …il faut faire appel aux significations »

L'idée de l'interdépendance du signifiant et du signifié est au cœur du Cours de linguistique générale et compose une partie indispensable des autres principes de la linguistique dite saussurienne. La conception entière de la valeur linguistique est nécessairement liée au fait que ni le côté conceptuel, ni le côté matériel ne prévalent dans la relation, et il est manifeste que le travail des éditeurs a visé à mettre ce principe en évidence.

Or, plusieurs passages du Cours même ainsi que des sources manuscrites de toutes sortes nous signalent la possibilité d'une autre interprétation. La communication qui vous est proposée prendra comme point de départ un alinéa fameux et frappant du chapitre sur les entités de la langue: « ...il faut faire appel aux significations. » (CLG 145 Engler 1708) Cette remarque ouvre une série de questions sur le platonisme de Ferdinand de Saussure et permet aussi de développer une autre théorie de la langue où la nature des signes linguistiques ou ses valeurs seront soumises à l'acte de la production du discours chez le sujet parlant. Par exemple, la pensée d'Émile Benveniste sur le sens dirigeant l'analyse linguistique s'appuie probablement sur cet extrait. En effet, on trouve des sources manuscrites qui tendent à justifier cette interprétation. Il s'agit notamment de l'énoncé bien connu: « Si l'un des deux côtés du signe linguistique pouvait passer pour ‹avoir› une existence en soi, ce serait le côté conceptuel, l'idée comme base du signe. » (CLG 116 Engler N 1329)

Notre communication consistera en une comparaison des deux passages en considérant tout d'abord les différentes versions des étudiants, puis leur contexte et enfin leurs implications logiques et théoriques.

Nous montrerons que dans les deux cas, il ne s'agissait pas d'une affirmation programmatique, mais plutôt d'une remarque ajoutée spontanément et que le contexte contient une implication de la temporalité qui n'est pas conforme au point de vue synchronique.

Les difficultés des deux extraits révèlent le caractère inhabituel de la position synchronique prise en son sens pur. Les valeurs étant relatives et purement oppositionelles, on n'y trouve de fondement solide qui permettrait de commencer la délimitation des entités. Le problème de l'identification des entités amène au rôle du sujet parlant et enfin ouvre la question de la priorité de la linguistique diachronique.



Benveniste, É. (2006 [1964]) « Les niveaux d'analyse linguistique ». In : Problèmes de linguistique générale. Paris : Seuil, p. 119–131.

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