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Jean-Paul BRONCKART

Du coût du Cours III... et du CLG

Dans leur introduction au CLG, Bally et Sechehaye précisaient que l'objectif de leur entreprise avait été de tenter une synthèse, sur la base du troisième cours et de viser ce faisant à recréer la forme définitive de la pensée saussurienne . Et dans le chapitre ayant trait à l'objet de la linguistique, il est posé que cet objet est la langue, entité qui seule est susceptible d'une définition autonome et fournit un point d'appui satisfaisant pour l'esprit ; langue à distinguer de la parole, individuelle, accessoire et plus ou moins accidentelle, qui comporte d'un côté les combinaisons par lesquelles le sujet parlant utilise le code et d'un autre le mécanisme psycho-physique qui lui permet d'exprimer ces combinaisons. Cette approche des relations langue-parole reproduit fidèlement les propos saussuriens du chapitre 7 du Cours III tels que les relate Constantin. Cette approche dichotomique et hiérarchisante, reformulée à l'envi, a suscité d'acerbes critiques selon lesquelles Saussure situerait la réflexion linguistique dans l'abstraction d'un cadre axiomatiquement fermé appréhendant la langue en dehors de son usage.Le propos de notre communication sera de démontrer que, dans le cadre de la magistrale clarification effectuée lors de la reprise engagée le 19 mai, Saussure a fait l'impasse sur nombre de ses remarques et analyses présentées dans les Cours I et II et diverses Notes, qui témoignent d'une conception équilibrée et tendanciellement dialectique des rapports entre langue et parole. La reconstruction de cette conception (qui eut peut-être été celle du chapitre avorté Faculté et exercice du langage chez les individus) implique de revenir sur l'élément nodal du "retrait saussurien", à savoir l'attribution des mêmes propriétés (caractère individuel et secondaire) aux deux versants de la parole que sont les émissions vocales et les combinaisons phrastiques. Si ces propriétés peuvent effectivement être attribuées aux effectuations verbales, il n'en est rien s'agissant des combinaisons, ou du discours. Comme Saussure l'affirmait lors du Cours I, la sphère est la plus sociale, la langue est la plus complètement individuelle ; comme il le relevait dans certaines notes, les mécanismes centraux du langagier que sont les redistributions de valeurs s'effectuent dans le discursif : Toute innovation se produit à propos du langage discursif. Et comme il l'affirmait encore, la parole-discours est première et constitue la force active du langage. Nous conclurons de ce retour aux sources qu'une des acceptions saussuriennes de la notion de langue, à nos yeux la plus créative, s'applique de fait au système, au discours et à leurs interactions.



Barbazan M. (2008). Principes d'une grammaire prédictive du discours (français langue étrangère et maternelle). Actes du Congrès Mondial de Linguistique Française, juillet 2008, pp. 383-396. www.linguistiquefrancaise.org.

Constantin, C (2005). Linguistique générale. Cours de M. le professeur F. de Saussure, Cahiers Ferdinand de Saussure, 58, 71-289.

Cours I : Komatsu, E. & Wolf, G. (1996). Premier cours de linguistique générale (1907) d'après les cahiers d'Albert Riedlinger. Oxford/Tokyo : Pergamon.

CLG : Saussure, F. (de) (1916). Cours de linguistique générale. Paris : Payot.

CLG-Engler : Saussure, F. (de) (1968). Cours de linguistique générale, édition critique par R. Engler, tome I. Wiesbaden : Harrassowitz.

ELG : Saussure, F. (de) (2002). Ecrits de linguistique générale. Paris : Gallimard.



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