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Akatane SUENAGA

Un problème de traduction dans la réception du saussurisme au Japon : la polémique Tokieda et la conception saussurienne de la langue

La réception du saussurisme au Japon, inaugurée en 1928 par la première traduiction au monde du CLG par Hideo Kobayashi, connaît dès les années 1940 une polémique engagée entre les « anti-saussuriens » et les « pro-saussuriens »: à une critique anti-saussurienne lancée par le linguiste Motoki Tokieda, se succédèrent plus d'une vingtaine de publications de la part des deux camps opposés.

La prise de position chez Saussure prenant la langue et le signe pour entités existant en dehors de chaque sujet, Tokieda la considère comme se fondant sur une méthodologie atomiste typique de la science naturelle.

Il accuse Saussure de substantialiser ainsi le langage qui, en réalité, n'est que du processus, et propose une linguistique qui doit se fonder uniquement sur l'observation du processus de la parole.

Sa critique contre Saussure n'a pas été suffisamment convainquante : le langage ne peut pas se réduire au processus seul de l'acte de parole aux dépens de la langue; non seulement la description du phénomène langagier mais aussi la conscience linguistique du sujet parlant supposent et nécessitent une représentation de la langue sociale et objective.

Mais d'où vient donc ce contresens de la part de Tokieda? Plusieurs raisons sont possibles. Ici, nous en remaquons une : il s'agit d'un problème de traduction.

Kobayashi, le traducteur du CLG, a choisi pour traduire le mot « entité » un mot japonais «jittai» qui a deux acceptions contradictoires : « essence permanent » et « substance matérielle » . Apparemment Tokieda a pris le mot pour la seconde qui ne va pas avec la signification dans le contexte en question.

Mais le malentendu de ce petit mot, qui se trouve à l'origine de toute la polémique ne fait-il pas penser au problème même de la théorie saussurienne? Cela au moins trois raisons : 1. Le mot en question concerne une des idées cruciales de la théorie saussurienne. 2. La traduction supposant en général l'écart entre deux systèmes différents, son problème n'est autre que celui du système saussurien. 3. Le problème de la traduction suppose l'idée de l'incommensurabilité qui, à son tour, implique la commensurabilité intra-systémique. Ce qui correspond à la notion de langue saussurienne, langue une et commune à tous.

Dans cet esprit, notre communication approfondira le rapport entre le problème de traduction posé dans la réception saussurienne au Japon et le problème de la théorie de Saussure.



HATTORI Shiro, 1960, Gengogaku-no-hoho (« La méthode de la linguistique »), Tokyo, Iwanami-Shoten.

MAEDA Hideki, 1978, « Saussure et la ''thèse du langage processus'' --- l'essence de la divergence des deux théories », Gekkan-gengo, Vol.7 No 3, numéro spécial : Saussure, l'origine de la linguistique moderne, Tokyo, Taishukan-Shoten, p.50-55.

MAEDA Hideki et TAKIGUCHI Morinobu, 1985, « L'influence du CLG et le saussurisme : Japon », in Soshuru-sho-jiten (« Dictionnaire encyclopédique de Saussure »), Tokyo, Taishukan-Shoten, p.157-162.

OHASHI Yasuo, 1973, « Saussure et le Japon », Misuzu, 166, 167, Tokyo, Misuzu-shobo, p.2-15, p.12-22.

SAUSSURE Ferdinand de, 1916, 1922, Cours de linguistique générale, publié par Charles Bally et Albert Sechehaye, avec la collaboration de Albert Riedlinger, Lausane et paris, Payot.

----- 1928, Gengogaku-Genron (« Principes de linguistique »), Tokyo, Oka-Shoin : traduction japonaise par Hideo Kobayashi du CLG.

------ 1940, Gengogaku-Genron (« Principes de linguistique »), Tokyo, Iwanami-Shoten : deuxième édition révisée de la traduction par Hideo Kobayashi du CLG.

------ 1968, 1974, Cours de linguistique générale : Édition critique, par Rudolf Engler, tome 1, tome 2, Wiesbaden, Harrassowitz.

------ 1972, Ippan-Gengogaku-Kogi (« Cours de linguistique générale »), Tokyo, Iwanami-Shoten : troisième édition révisée de la traduction par Hideo Kobayashi du CLG.

SUENAGA Akatane, 2005, Saussure, un système de paradoxes – langue, parole, arbitraire et inconscien t, Limoges, Lambert-Lucas

TOKIEDA Motoki, 1941, Kokugogaku-genron (« Principes de linguistique japonaise »), Tokyo, Iwanami-Shoten.

------ 1957, « Lire ''Sur la thèse du langage processus'' de Professeur Shiro Hattori », Kokugo-kokubun (« Langue et littérature japonaises »), vol.26, numéro 4, Université de Kyoto, p.24-29.