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Jean-Louis VAXELAIRE

Le CLG et le nom propre : le pharmakon saussurien

Les théories linguistiques au sujet des noms propres sont généralement très – pour ne pas dire trop – influencées par les approches logiciennes : Kripke et Russell sont ainsi bien plus souvent cités que Chomsky ou Martinet, alors que ce dernier a pourtant écrit un article à ce sujet. Bien qu'ouvrage primordial de la discipline, le CLG porte une part de responsabilité dans cet état de fait. En reléguant la question du nom propre à la périphérie, il a ainsi ouvert la porte au concept anti-saussurien du signifiant sans signifié (Noailly, 1987), pendant linguistique de la référence directe des logiciens.

Dans un premier temps, nous noterons que malgré l'intérêt que Saussure porte aux noms propres dans divers travaux (légendes, anagrammes, etc.), le linguiste suisse est souvent convoqué comme preuve que le contenu linguistique des noms propres est quasi inexistant. D'un point de vue épistémologique, la parution du CLG correspond également au déclin des thèses maximalistes qui voyaient dans le nom propre un élément plus riche sémantiquement que le nom commun.

Nous verrons dans une seconde partie qu'une approche strictement linguistique du nom propre, c'est-à-dire détachée des thèses philosophiques, s'appuie néanmoins sur l'appareil conceptuel du CLG et sur plusieurs développements néo-saussuriens (les recherches de Coseriu et de Rastier par exemple), en insistant particulièrement sur la notion de texte car l'étude des noms propres ne doit pas se contenter d'imiter la pratique d'un lepidoptérophile qui accroche ses trouvailles à son tableau, mais se concentrer sur leur rôle dans un texte.

A la manière du terme énantiosémique de "pharmakon", le CLG offre à la fois la possibilité d'exclure et de réintroduire le nom propre dans l'étude linguistique.



Arsenijevič Milorad (2000). « Ferdinand de Saussure onomasticien : valait-il la peine de continuer ? », in A. Englebert et al. (éd.), Actes du XXIIe Congrès International de Linguistique et de Philologie Romanes, Bruxelles - 23-29 juillet 1998, vol. IV, Tübingen, Max Niemeyer, p. 77-83.

Coseriu Eugenio (1967). « El plural en los nombres propios », Teoría del Lenguaje y lingüística general, Madrid, Gredos, p. 261-281 [1955].

Martinet André (1982). « La classe des noms propres en français et ailleurs », Glossologia, n° 1, p. 7-16.

Noailly Michèle (1987). « Le nom propre en français contemporain : logique et syntaxe en désaccord imparfait », Cahiers de grammaire, n° 12, p. 65-78.

Rastier François (1987). Sémantique interprétative, Paris, PUF, 277 p.

Testenoire Pierre-Yves (2008). « Le nom propre en débat au tournant du siècle (Whitney - Bréal -Saussure) », in J. Durand et al. (éd.), CMLF 2008, Paris, EDP Sciences, p. 1001-1014.