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Antonino BONDI

Le thème de la variation et le tournant géologique en linguistique. Du CLG à la sémio-pragmatique de Deleuze & Guattari.

L'importance du thème de la variation dans l'histoire des théories linguistiques émerge si l'on constate le refoulement de la dimension du flot du parler: variabilité immédiate et spontanée de la vie des signes et des formes symboliques, ne permettant pas l'édification de disciplines rigoureuses capables de fournir des descriptions scientifiques des phénomènes langagiers. Ce thème est au coeur des tensions entre langue et parole que Ferdinand de Saussure dans le CLG a sans cessé exploité: la parole relèvant du domaine des exécutions à chaque fois irréfutables et singulières, la langue se présente comme le lieu théorique de ce qu'il peut être objectivé et identifié comme stable et répétable. En même temps, la langue est soumise à la pression du changement historique et social. Le CLG a révélé une véritable conception paradoxale de son objet, en déterminant l'ouverture d'un champ problématique philosophique et épistémologique constamment repris. Notre communication discutera le prolongement de cette histoire paradoxale que le CLG a délivré, en abordant le chiasme entre langue et parole du point de vue de sa réception spéculative dans la sémiotique de Hjelmslev et dans les gestes philosophiques de Merleau-Ponty et de Deleuze et Guattari. Ces trois propositions théoriques ont développé de façon autonome le questionnement autour de la variation. Hjelmslev a élaboré une formalisation de la stratification sémiotique pour faire face à une dynamique des différents niveaux de constitutions des habitudes langagières (la parole étant décrite comme un entrecroisement simultanée et non linéaire de normes et usages à la fois collectifs et individuels), reprise par Deleuze et Guattari qui proposent une conception sémio-pragmatique de l'énonciation et de la parole comme agencement collectif. D'autre part, Merleau-Ponty a focalisé la structure chiasmatique entre les actes de langage et l'activité du langage, celle-là étant définie en termes de puissance expressive, qui se produit constamment dans un contact énonciatif (et corporel) avec le monde et autrui. Ces trois gestes théoriques - gravitant de façon différente et parfois critique à l'égard du structuralisme linguistique et philosophique européen - nous montrent l'émergence, à partir de ce chiasme originaire fondant la perspective épistémologique du CLG, d'une vision moniste, variationniste et dynamique ayant caractérisée l'histoire du saussurisme.

Deleuze, G., Guattari, F. (1990) Mille Plateaux, Paris, Éditions de Minuit. Hjelmslev, L. (1971). Essais linguistiques. Paris, Éditions de Minuit. Hjelmslev, L. (1985). Nouveaux essais. Paris, Éditions de Minuit. Merleau-Ponty, M. (1945). Phénoménologie de la perception. Paris, Gallimard. Merleau-Ponty, M. (1960). Signes. Paris, Gallimard. Merleau-Ponty, M. (1969). La prose du monde. Paris, Gallimard. Merleau-Ponty, M. (1996). Le primat de la perception. Paris, Verdier. Merleau-Ponty, M. (2011). Le monde sensible et le monde de l'expression. Notes du cours au Collège de France, 1953. Genève, MetisPresses. Salanskis, J.-M. (2000). Modèles et pensées de l'action. Paris, L'Harmattan. Salanskis, J.-M. (2001). Sens et philosophie du sens. Paris, Denoël. Saussure, F. (1916). Cours de linguistique générale, édité par Ch. Bally et A. Secheaye, avec la collaboration de A. Riedingler. Paris, Payot. Saussure, F. (2002). Écrits de linguistique générale. Paris, Gallimard